Mineurs Isolés Etrangers et Thérapie familiale publié par l'EFTA (european family therapy association)

Publié le par Pierre Duterte psychothérapeute


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THERAPIE FAMILIALE CHEZ LES MINEURS ISOLES ETRANGERS… ?

UNE IMPOSSIBILITE, UN PARADOXE, UNE SOLUTION ?

Les Mineurs Isolés Etrangers (MIE), peuvent paraître, du fait de leur statut d’isolé, comme peu qualifiés

pour une thérapie familiale. Ils ont eu le plus souvent, avant de se retrouver seuls en France et,

malgré leur jeune âge, vu périr leur famille, ils ont pour la plupart été victimes d’insoutenables violences,

ils ont parfois été amenés à faire la guerre à 7, 10 ou 15 ans.

Même si parfois ces mineurs sont missionnés par leur famille pour « venir » travailler en France, il est

impossible d’imaginer qu’ils puissent vivre cet « exil » comme un voyage, comme un séjour !

Me revient toujours à l’esprit ce jeune chinois, pour qui, devant une tristesse profonde que je ressentais

en le croisant dans la cour du foyer où il était hébergé, j’avais dû insister auprès de « l’équipe

éducative » pour le recevoir. Ceux qui l’avaient en charge n’en voyait pas l’utilité « car il ne posait pas

de problèmes : « il savait pourquoi il était là, il avait été envoyé pour travailler » !

Peu de temps après le début de la première consultation le voilà qui me déclare « j’étais gentil pourtant

!». Intrigué je lui demande de m’expliquer ce qu’il voulait à l’évidence me dire par là ! « Pourquoi

mes parents m’ont jeté comme une poubelle, ça je ne comprends pas ! » et le voilà qui s’effondre en

larmes, en proie à un désespoir profond. Il était certes missionné, en effet il savait pour quelle raison il

était là, il était aisé de croire, (rassurant ?) de penser qu’il n’avait pas été maltraité, mais il souffrait

intensément.

MIE=victime

L’importance pour moi est, comme le montre la situation de ce jeune homme, le constat que lorsqu’on

parle de MIE, on parle de victimes ! On ne peut pas être mineur ou même jeune majeur, être seul et

sans difficulté psychique ! Que dire de ceux qui ont traversé l’horreur indicible ?

C’est ce passage du jour des 18 ans qui est souvent (et dramatiquement à mes yeux), vécu avec terreur

par un(e) jeune pris en soins en France, ce jour fatidique est assimilé au moment où il va, une

fois encore, « être jeté ». Comme si un jour (J-1) vous étiez mineur et donc aviez droit à une protection,

et le lendemain, jour de vos 18 ans, vous êtes majeur donc « beaucoup plus grand dans votre

tête ! ». Il me semble absurde de croire, ou même de feindre de croire qu’en termes psychologiques, il

y a des caps aussi tranchés.

La maturation traumatique ne touche pas tout le monde de la même façon. Même en reprenant

l’image de Ferenczi, du fruit piqué par un oiseau, tous les fruits piqués ne changent pas à la même

vitesse.

Et quelle famille ?

Etre mineur isolé, c’est-à-dire être mineur, sans sa famille, (quelles que soient les nuances à apporter

au terme “ famille ”) et vivre cette séparation à l’étranger, parfois à des milliers de kilomètres de son

pays d’origine. Tous ces termes réunis font le lit d’une histoire, peut-être pas systématiquement traumatique,

mais douloureuse, et dans mon expérience, si souvent particulièrement tragique et insoutenable.

On m’objecte parfois que tous ne sont pas isolés, qu’ils ont de la famille en France, qu’ils ont quelqu’un

à qui ils téléphonent, qu’on se demande si tout cela n’est pas que manipulation pour les faire

prendre en charge etc etc… Et même si…. une famille qui, pour quelque raison que ce soit, de la

meilleure (moins mauvaise) à la pire, vous laisse seul vous débrouiller dans le système de

« protection de l’Enfance » n’est-ce pas une famille « traumatisante » ? C’est à minima une famille qui

fait défaut au moment présent !

Ce faire défaut peut être lié à différentes causes. Par exemple la guerre, qui a fait que les parents sont

morts ou ont disparu ; le défaut de fonctionnement de la famille qui a fait que celle-ci n’a pas vu à un

moment donné d’inconvénients à ce qu’un enfant quitte le pays avec quelqu’un plus ou moins de

confiance ou encore la disparition de membres de la famille. Parfois comme ce jeune Sri Lankais reçu

il y a quelques mois, les deux : une partie de sa nombreuse famille avait été tuée par la guérilla, le

reste (mis à part deux enfants, dont lui) emportés par le tsunami !

J’entends souvent parler de ces « situations » comme une espèce de fatalité liée à un état socioéconomique,

mais si tous les parents de tous les pays où l’on ne mange pas à sa faim, où le travail

n’est pas assez rémunérateur envoyaient leurs enfants à l’étranger, cela se saurait ! et combien de

français devraient alors émigrer vers un autre « Eldorado ».

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Ce sont, pour moi, des situations qui poussent à se questionner sur la nature de cette famille, et le

vécu de l’enfant dans cette famille , la globalisation n’est pas de mise ici.

Et puis le fait qu’ils soient étrangers, n’implique pas n’importe quel éloignement de la famille. Certains

enfants quittent leur famille à l’intérieur du territoire, restent en famille au sens large, mais les enfants

ou adolescents que je reçois sont éloignés de leur famille et de leur milieu de 500 à 5000 kilomètres,

voire plus, et savent qu’il n’y a pas, dans l’immense majorité des cas, de retour possible sans mettre

en jeu leur vie !

Il est donc possible (pour moi indispensable), de penser que la situation de Mineur isolé est systématiquement

traumatique parce que le fait d’être mineur ou très jeune majeur met ces jeunes gens dans

une situation de vulnérabilité qui, après des événements dramatiques, les mets dans une situation où

il ne peuvent être « tranquilles », obligés sans cesse qu’ils sont de veiller à se protéger, de se méfier

de tout, d’être responsables, de ne jamais pouvoir souffler. Comment vivre comme un « jeune » ?

Outre toutes les situations de maltraitance qui se traduisent par la fuite de l’enfant, ou par le projet de

se servir de l’enfant comme d’une tirelire parce que l’on pense qu’il pourra procurer des revenus une

fois à l’étranger, il y a aussi les sévices, les tortures endurés par le père, la mère ou les deux, par les

mineurs, toutes ces horreurs qui hantent leur séjour en France, qui habitent les cauchemars et peuplent

les journées de reviviscences.

Une thérapie familiale mais avec quelle famille ?

Par le biais de ce qui représente la famille au sens le plus large, au sens que certains MIE ont compris

quand, même face à l’effroi pudibond ou dogmatique de certains éducateurs ou thérapeutes, ils en

viennent à demander à être autorisés à appeler leur thérapeute « tonton » ou leur éducatrice

« maman » ou plus simplement les intitulent-ils ainsi tranquillement dans le répertoire de leur portable.

Combien n’ai-je pas entendu de jeunes conter, avec surprise, les réactions parfois violentes de la

personne en face d’eux qui s’entend appeler de ce qualificatif, qui, après tout, n’avait pas le même

sens « chez eux » que chez nous. D’autant que ce qualificatif vient donner une connotation protectrice

à des institutions qui parfois ne le sont pas !

Il y a peu, un mineur s’est vu réprimander par son éducatrice quand il demandait un rendez-vous avec

moi « mais qu’est ce qu’il te fait donc pour que tu veuilles ainsi aller le voir si souvent ?... c’est quand

même pas ton père !» A cette étrange conception de la relation d’aide ce gamin brillant devait répondre

« disons que je vais voir mon beau-père ! ». Pour avoir le dernier mot, que ce gamin lui laissa bien

volontiers et avec raison,… l’éducatrice devait ajouter « tu verras lui aussi, il te laissera tomber ! ».

Rester pantois ou faire un signalement devant une telle « maltraitance », devant une telle invitation à

la répétition, la question se pose ? ».

Une « famille » qui peut être composée par un réseau comprenant des intervenants de l’Aide Sociale

à l’Enfance, la famille d’accueil, ou les éducateurs référents ou « choisis » comme tels par le mineur.

Ces personnes devenant peu ou prou, volontiers ou à leur corps défendant, des « substituts parentaux

», au moins des personnes qui portent la responsabilité de faire « grandir » un(e) jeune en difficulté.

Ce n’est pas toujours situation aisée, elle l’est d’autant moins que si le traumatisme atteint, bouleverse

celui qui l’a vécu et qui se sent « hanté » par lui et par ses conséquences, il peut aussi bouleverser

ceux qui en reçoivent le récit !

La pâte à modeler

Le traumatisme structure tous les êtres humains : c’est à dire qu’après un traumatisme, il n’est plus

possible de vivre sur les « repères d’avant ». C’est le traumatisme qui crée les nouveaux jalons ; c’est

la nouvelle expérience de référence par rapport à laquelle l’on fonctionne. Chez les enfants, ce constat

est encore bien plus manifeste.

Car l’adulte a eu le temps de se forger une personnalité avant le traumatisme, même s’il y a eu un

aménagement autour du traumatisme, une traduction, des sublimations de tous ces événements mis

bout à bout qui se sont passées et qui ont abouti à la personnalité de l’adulte. Il y a des choses qui

resteront inchangées toute la vie, imprimées, mais heureusement d’autres qui pourront évoluer selon

les circonstances ou… les soins, c’est ce qui ouvre des perspectives à l’action thérapeutique !.

Chez les enfants, les adolescents, la traduction du traumatisme ne passe pas par les filtres multiples

qui ont forgé la personnalité de l’adulte. La traduction est beaucoup moins complexe, beaucoup plus

directe. Il y a un lien qui peut paraître simpliste mais qui existe entre les comportements, les dires et

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les attitudes des enfants et leurs expériences vécues. C’est une réalité parfois difficile à entendre

parce que cela nous met tous en cause finalement car si l’on est peut-être parent, on a tous été enfant,

et il est vrai que l’enfant se construit par rapport à ses références. Et quand surgit une expérience

aussi puissante que le traumatisme, elle ne peut qu’avoir un effet très fort sur les comportements,

les attitudes, les croyances de l’enfant.

Revers de la médaille, j’ai toujours comme exemple celui de la pâte à modeler. On n’en trouve plus

guère comme celle que mes parents me donnaient, en bâton de différentes couleurs, réunis en forme

de cube. Au début, à la sortie de l’emballage, elle était souple malléable. Après un moment

d’utilisation, elle avait tendance à durcir, à se rigidifier… à ne plus supporter les déformations, à perdre

des morceaux, à ne pas vouloir se recoller.

Je suis convaincu que l’on peut comparer les capacités plastiques du psychisme de ces jeunes gens

à cette pâte à modeler. Je n’ai jamais vu un adulte récupérer ad integrum de la torture, (comme j’aime

à le dire on ne traverse pas à pieds une rivière sans ressortir mouillé, et même séché… il reste toujours

un peu de poussière !) j’ai vu une grande majorité de ces jeunes garçons et filles se redresser,

se remettre en route, réussir. On a eu beau taper fortement sur le bloc de pâte à modeler, on a pu

l’écraser, l’aplatir, il est possible si on s’y prend avec soins, avec soins, de redonner la forme quasi

originelle à l’ensemble, la couleur est un peu mélangée certes, mais la forme est redevenu celle

d’origine. Chez les adultes c’est beaucoup moins évident. Les coups ont fait sauter, se détacher des

fragments durcis, plus ou moins importants. La partie plus malléable se reforme, se remet en forme,

mais on n’arrive pas à réintégrer les petits ou les gros fragments qui ont été brisés, détachés. Les

séquelles sont plus évidentes, plus gênantes. Contrairement à ce que certains ont pu déclarer, je suis

convaincu que l’on ne peut guérir de la torture, des traumatismes graves, au sens médical du terme1.

Je suis par contre tout aussi convaincu que l’on peut consolider, toujours au sens médical du terme2

les séquelles laissées par cette effroyable machine à déstructurer. Bien sûr, même chez les jeunes

que nous recevons l’étendue des séquelles est variable, le mélange des couleurs de la pâte à modeler

est plus ou moins marqué, mais la plasticité est là. C’est un formidable gage d’espoir3.

Le constat que la modification de l’état psychique d’un membre de la famille retentit sur le système

familial est très puissant dans le cas de traumatisme et vient parfaitement s’appliquer à ce que l’on

peut appeler la thérapie de réseau. Ce que j’essaie de faire avec ce qui peut sembler être un assemblage

familial hétéroclite, qui n’aurait de familial en apparence que le nom, est de débloquer une situation

en proposant une alternative au scénario écrit, accepté voire… habituel. Essayer de sortir du système

n’est pas simple en thérapie familiale, il est parfois encore beaucoup plus compliqué en thérapie

de réseau tant les résistances institutionnelles peuvent parfois être grandes ou vécues comme des

mises en accusation ! tant les comportements des uns et des autres n’ont pas « bénéficié » de

l’adaptation proposée par la vie ensemble sur des années. Ce sont des familles « de novo ».

Il n’y a d’ailleurs pas que l’institution qui se sente mise en accusation, le ou la mineur(e) peut parfois,

de par sa simple appartenance « ethnique » se sentir accusé(e). Un exemple, ce que j’ai vécu avec

les enfants de Sierra Leone, du Nigeria, ou du Liberia et qui a été ma première rencontre avec des

mineurs enfants soldats ou ayant vécu des exactions pires que tout ce que j’avais entendu jusque là.

Je pensais après 4 ou 5 ans de soins aux victimes de torture, avoir touché le fond des récits horribles.

C’était vrai jusqu’à l’arrivée de ces adolescents martyrisés au-delà de tout. J’ai vraiment été contraint

de dégringoler encore un « paquet de marches » de l’escalier de l’horreur. Rendre acteur des enfants

d'épouvantes insoutenables est à mon sens un des pires crimes contre l’Humanité. C’est une insondable

violence qui leur est faite. Je me souviens de l’effet que me firent les propos de ce mineur qui

avait tué à maintes reprises quand il me déclara « c’est seulement en te rencontrant que j’ai compris

que ce que j’avais fait n’était pas bien ». ce jour là j’ai compris que parfois l’acte thérapeutique pouvait

se résumer à un « désenseignement ».

Comment ne pas vouloir « désenseigner » quand ce qui a été appris relève de l’absurdité pure et simple

comme de vouloir transformer un enfant en soldat !

La place de l'enfant est constamment foulée aux pieds dans le monde moderne, sur fond de discours

solennels sur la fin de l'esclavage, de respects des droits de l'enfant, d'égalité des chances, d'éducation

pour tous, de démocratisation par Internet et j'en passe. J'ai croisé beaucoup d'enfants qui

avaient souffert au-delà de tout d'avoir été mis à une place impensable : celle de soldats.

1 Guerir est la disparition (d'une maladie) avec retour à l’état antérieur

2 La consolidation est l’état de stabilisation d'une blessure à un stade qui ne permet plus d'amélioration et où il devient possible d'apprécier

l'étendue de l'invalidité éventuelle qui en résulte. Il n’y a pas de retour à l’état antérieur.

3 In Terres Inhumaines, JC Lattès éditeur, 2007

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Ce drame est venu s'imposer il y a une dizaine d'année quand sont arrivés les enfants de Sierra

Léone. Ils avaient certes vécu le drame d'avoir été enrôlés, utilisés, mais, pour tous ceux que nous

avons reçus, ils avaient vécu l'expérience "initiatique" d'être confrontés à la violence dans ce qu'elle

doit avoir de plus absolu. Contraints qu'ils avaient été, sous menace de mort d’assister qui au viol de

sa mère, de ses soeurs, à l’amputation sauvage de bras de jambes de ses frères, soeurs ou voisins,

au massacre de toute la famille et j'en passe, sachant ce que les mots peuvent faire mal. Un des jeunes

patients, parmi les plus éprouvés, avait été contraint de jouer au football avec la tête tranchée de

son père.

Pareils "spectacles" transforment ces adolescents en témoins impuissants. Toute réaction, aussi dérisoire

soit-elle, les mettrait immédiatement en danger de mort, l'inimaginable colère qu'ils emmagasinent

fait le lit de la violence, de l'identification à l'agresseur.

Comment imaginer qu'il existe aujourd'hui encore des adultes capables de "donner cet exemple"?

capables de mettre des kalachnikovs dans des mains d'enfants, et de leur faire croire qu’un gri-gri,

qu'une piqûre ou qu’une cigarette magique les rendra invincibles. Comment ces gamins peuvent encore

croire que le rôle de l'adulte est de protéger, de donner les règles? Certains avaient été au combat

à 8 ans, ils avaient été nommés "sergent chef" à 11 ans parce que les autres n’avaient que 9 ans !

Les médias ont diffusé de nombreuses images d'enfants combattants ; ils n'ont montré souvent que

des regards durs, des mains trop petites pour les AK 47 ou les machettes, vignettes du pittoresque

atroce dont l'époque est friande, mais il est frappant que l'on ne montre que des enfants noirs.

Comment ne pas penser aux enfants colombiens embrigadés par les FARC? Mais aussi pourquoi ne

pas balayer devant nos portes, si près de chez nous? Pas seulement en se rappelant ces images

terribles d'un Hitler, qui, sortant un instant de son bunker, quasiment sans plus d'armées, pinçait

"paternellement" la joue d’un gamin, dans Berlin en feu, pour lui faire croire qu’il pourrait par son

combat sauver le IIIe Reich de l’abîme. Mais aussi en pensant aux enfants utilisés en Irlande du Nord,

il y a peu, ou en se révoltant du fait qu'il y a 15 mineurs britanniques envoyés combattre en Irak depuis

2003 et parmi eux quatre filles, en dépit de la ratification par la Grande-Bretagne d'un protocole

de l'ONU sur les enfants-soldats.

Que l'enfant soit anglais, irlandais, arabe, tchétchène ou africain, il est d'abord un enfant. Son monde

a été détruit et son psychisme cabossé en même temps.

Heureusement que, comme je le disais plus haut, je crois que le psychisme de l'enfant est un peu

comme de la pâte à modeler et qu’il a cette plasticité qui le rend si malléable, mais permet aussi toutes

les reconstructions.

La thérapie oui, la thérapie familiale de réseau, sans aucun doute mais convaincu que la thérapie ne

passe pas que par le « thérapeutique pur et dur » mais aussi par tout ce qui est thérapeutique « sans

le savoir… ». Nous essayons d’organiser régulièrement des auditions de concerts, des sorties à thèmes,

des visites dans les musées, moments ludiques, instructifs, de découvertes. Se soigner sans le

savoir, merci Monsieur Jourdain.

Au retour d’une visite au musée des Arts Africains, de jeunes patients sierra léonais étaient radieux.

« C’était formidable, génial, extraordinaire... ! » devant cet enthousiasme, je leur demandais (assez

stupidement je le reconnais) si cela avait été intéressant parce qu’ils avaient vu des objets qu’ils

connaissaient, qui leur « parlaient »?

-Oh non pas du tout on n’a jamais vu ce qui est exposé, on n’a jamais vu cela en Sierra Léone, à part

peut-être un petit chien couvert de clous ! Mais c’est la première fois depuis qu’on est en France que

l’on voit le nom de notre pays accolé à quelque chose correspondant à une mise en valeur, à quelque

chose de « beau ».

Avant cet « événement » chaque fois qu’on parlait de leur pays, c’était en termes d’enfants-guerriers,

de prostitution sur les boulevards des Maréchaux, ou de “ manches courtes et manches longues ”

référence à la hauteur à laquelle les bras allaient être coupés. Leur pays réduit pour eux, mais aussi

et surtout, pour ceux chargés de les soutenir », à des images d’horreur absolue.

Le changement c’était le beau, c’était le fait que la Sierra Léone n’était plus rétrécie à la seule guerre

qu’elle traversait mais s’élargissait aussi à une culture riche, une culture qui avait des siècles. Qu’elle

ne se limitait plus à une histoire, mais entrait dans le cadre élargi de l’Histoire. La culture de ce pays

ne pouvait se résumer à quelques années de guerre civile aussi atroce et insoutenable soit-elle !

Etre Sierra Léonais, Nigérian, ou du Libérien n’était plus, par la magie de cette exposition, une accusation

en soi.

Pour le médecin que je suis, comparer leu potentiel de réparation physique, apprend aussi qu’une

blessure psychique correctement traitée peut se réparer beaucoup plus vite qu’une blessure laissée à

l’abandon.

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C’est ce qui fait qu’à l’inverse je ne peux qu’être particulièrement inquiet quant au devenir de ces jeunes

laissés tout seuls, je dirais sans « soutien humain ». Je n’aime pas trop l’expression, mais elle est

très évocatrice de ce que j’imagine : sans un soutien spécifique et approprié, ces adolescent(e)s deviennent

pour moi pareils à des grenades dégoupillées qui peuvent très bien tenir quelques années.

On en voit qui réussissent à s’adapter seuls, mais qui risquent, à tout moment, parfois le plus imprévisible,

d’exploser, comme explose la mine enfouie, qui n’explosera que lorsque l’on marchera dessus,

parfois au moment le plus inattendu, conséquence d’un évènement qui semblera anodin à l’éducateur,

à l’intervenant social mais qui viendra pour cet adolescent(e) s’arrimer de façon plus ou moins compréhensible

au vaisseau extraterrestre de l’horreur. La thérapie de réseau trouve là toute sa place,

son efficacité quand elle permet de faire le lien entre l’événement anodin et « l’acte posé » mais surtout

quand elle permet de détricoter de qui est arrivé et quand elle permet de faire un lien entre

l’enfant, les intervenants et… le thérapeute.

Ceci amène, d’un point de vue psychique, à considérer que le principal enjeu, dans un premier temps,

est la structuration. Ce que ces interventions de thérapie familiale de réseau vont permettre est bien

de déconditionner par rapport aux expériences traumatiques, et donc de leur donner un cours différent.

C’est aussi de faire comprendre aux intervenants, à la famille d’accueil que, par exemple, les

colères brutales, les comportements étranges, ne sont pas aussi « déplacés » que cela mais font bien

sens. Un sens qui nous est étranger, mais qui est une évidence pour le psychisme, conscient ou pas

de ce mineur isolé et étranger. Étranger à ce qui est état de Droit, mais aussi état de devoirs !

On voit comme le danger est la non-intervention, ou les interventions qui échouent. Du coup,

l’expérience traumatique qui va fonctionner comme modèle structurant de la personnalité, va être

conforté comme étant une « réalité », un état auquel on ne peut échapper, et dans ce cas tout devient,

tout est possible, même le pire de nouveau.

Il est important de garder en mémoire comme le dit clairement et concisément Sandor Ferenczi : “ Le

choc est équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de

penser en vue de défendre le soi propre”.

Définition simple, mais où tout est dit : la personnalité du sujet n’a plus d’utilité face à l’événement.

Pour l’enfant (comme d’ailleurs pour l’adulte), tout ce qui a permis de fonctionner, de s’adapter aux

colères des parents, aux ennuis de la vie quotidienne, devient caduc face à cet événement majeur,

incroyable… sidérant. Les ressources personnelles sont devenues absolument inefficaces et annulent

ce sentiment d’être quelqu’un.

C’est à ce moment que les traumatismes, quel qu’ils soient, physiques ou psychiques ont à voir avec

la mort. Qu’ils font côtoyer la victime avec cet effroi. Car si la mort physique n’est pas au rendez-vous,

la mort psychique est là, tout près. Un acte qui présuppose que la victime n’a pas de volonté, de désir

propre et finalement, d’existence en tant que personne, est une menace de mort. Il n’est pas obligatoire

d’avoir été atteint physiquement pour approcher d’aussi près la mort. S’il paraît évident qu’être

violé est un traumatisme à la fois physique et psychique, il est facilement concevable, pour ne pas dire

évident, qu’assister à un viol est aussi un traumatisme psychique d’une extraordinaire violence, même

si le physique n’est pas touché.

Pour les jeunes qui nous occupent, assister à un massacre, même s’il n’y a pas un des agresseurs qui

n’ai touché à un cheveu de l’enfant, c’est quand même un traumatisme psychique. Tout comme peut

l’être celui de devoir porter des rockets à ceux du front, à aller au front et à n’avoir pour seul façon de

survivre que de tuer !

Un pays sans feux rouges !

Un exemple simple de ces mines qui explosent sans le savoir, sans que l’autre et parfois même le

patient lui-même ne fasse le lien. Dans un champ de mines par définition, personne ne sait où cellesci

sont enterrées, ni la personne qui marche, ni les autres qui la regardent marcher : j’ai longtemps

accompagné un jeune patient que plusieurs fois j’ai dû aller voir à l’hôpital car il avait été renversé par

des voitures. A un carrefour, il avait traversé sans regarder.

Une hypothèse facile et idiote (même si elle fut suggérée par un des intervenants qui s’en occupait au

foyer…) « forcément il n’y a pas de feux rouges dans son pays » !

Une réalité : ce jeune homme avait été violé en prison « malgré » son jeune age… lors des viols, les

tortionnaires allumaient une lampe rouge pour signaler qu’ils étaient « au travail ». Pour échapper à la

folie de l’instant, le psychisme se concentrait sur la lumière rouge… C’était ce qui se passait au moment

du traumatisme. Une fois celui-ci passé, une fois arrivé en France, dans un deuxième temps, ce

mécanisme dissociatif allait continuer à être actif, ce patient continuait à recourir à cette protection à

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ce mécanisme qui avait été un mécanisme de survie, et ce, à chaque fois qu’il se sentait de nouveau

exposée au danger, au feu rouge… celui-ci acquérant en France un tout autre effet protecteur !

Chaque fois qu’il voyait un feu rouge, il était renvoyé à son expérience traumatique et donc il se redissociait.

Il avait de nouveau recours au mécanisme qui lui avait été utile la première fois.

Ce qui était mécanisme de défense devenant symptôme et devenant présent après le traumatisme, et

restant actif…sans prise en soins, quelques mois, quelques années, voire toute la vie. Le feu rouge

était devenu « mine », et la vie minée quotidiennement le patient ne la voyant pas avant qu’elle

n’explose, ce patient ne la voyait pas non plus après l’explosion et donc se retrouvait à l’hôpital se

voyant enjoindre par ses éducateurs « de faire attention ».

Autre terrain miné, celui qui est nourri de l’identification à l’agresseur. Cette protection qui rend la victime

acteur tant soi peu de son destin. Accepter l’image que le tortionnaire a de vous c’est se retrouver

amené à finir le travail, d’où les actes qui vont de « se faire mal » au suicide réussi, avec tous les

intermédiaires : conduites addictives, suicidaires, automutilations, tentatives de suicide, ou même

comme m’expliquait un jeune patient : “ quand je ne suis pas bien, je ferme les yeux et je traverse la

rue ”… jeux dangereux, défis, tests ? cela l’amenait régulièrement à se faire copieusement invectiver

par des chauffeurs, par ses éducateurs, ce dont il se plaignait ne comprenant pas qu’ils ne comprenaient

pas ! ça l’a amené aussi 3 ou 4 fois aux urgences de l’hôpital !

Cette identification à l’agresseur peut amener à des conduites dangereuses voire délinquantes, la

victime alors se pare du masque de l’agresseur. Et souvent ce qui motive la demande de consultation

est ce coté « sale gosse » pour le moins qui exaspère tant les éducateurs

L’horreur même de ce qui a été commis confère parfois une puissance extraordinaire aux agresseurs.

Très souvent ils ne parviennent pas à les nommer quand ils les connaissent. Quelques patients, rares,

sont parvenus à donner le nom de leurs tortionnaires, en particulier des tortionnaires-femmes de Guinée.

Mais la crainte que ce simple nom inspirait se lisait dans leurs yeux : « c’était quand même des

mamans ». Une jeune femme m’expliquant qu’elle avait « même été torturée par des tortionnaires

femmes, du sexe masculin !!!! ».

Qu’il est difficile d’accepter qu’on a croisé une vision du diable !

Il est exceptionnel que les patients puissent décrire autrement que de façon fragmentée leurs agresseurs.

Alors quant à le nommer c’est déjà l’invoquer... quand les victimes connaissent le nom de leur

agresseur, elles ne peuvent souvent pas le dire, parce que ce serait déjà lui redonner une présence

auprès d’elles. Mais ainsi, il n’est plus possible de jamais retourner la violence contre l’agresseur ni

d’obtenir justice.

Il est clair que ces jeunes n’obtiendront jamais justice contre l’agresseur réel, que dire des enfants

soldats ? comment obtenir réparation de celui qui vous a envoyé au front alors qu’il était celui qui savait

! alors qu’il est actuellement au pouvoir ! Ils ne verront jamais sur le banc des accusés leurs

agresseurs, ni ces adultes qui ont si lamentablement jeté aux orties le rôle protecteur des adultes.

Jamais ils n’entendront que ce qu’ils ont subi était abject, injuste ! La reconnaissance possible du

statut de réfugié ne peut être qu’un pale édulcorant d’un procès. C’est tout juste le versant « victime »

qui est reconnu, seulement une hypothétique reconnaissance peut être trouvée dans cette décision.

Certainement pas une réparation. Jamais l’agresseur ne sera sanctionné.

Les portes de l’enfer

Recréer une « famille », dans le cabinet de thérapie, c’est un peu essayer de réparer une enveloppe

protectrice déchirée, c’est tenter de refermer une porte de l’enfer. Essayer de la repousser est sûrement

déjà mieux (moins mal) que de la laisser grande ouverte !

Essayer de refermer cette porte c’est par exemple expliquer à tout le « réseau », jeune patient(e)

compris(e), que l’identification à l’agresseur se déplace sur des adversaires beaucoup moins dangereux

tels le ou la référent(e) de l’Aide Sociale à l’Enfance, l’éducateur, le directeur du foyer,

l’enseignant ! Que dire de l’OFPRA ! quel ennemi parfait… non seulement il fait un travail qui oblige à

revisiter son drame, mais en plus il représente l’autorité celui qui s’appelle Officier de protection !

Combien de fois n’ai-je entendu dans le foyer de mineurs où j’intervenais : « les éducateurs ne nous

aiment pas, il ne font cela que pour l’argent ils s’en fichent complètement de nous, ils nous maltraitent

». Ferenczi appelle cela une falsification optimiste c’est-à-dire que l’enfant se dit : “ les éducateurs

me maltraitent parce qu’ils ne me respectent pas, parce qu’ils ne m’aiment pas, parce que je ne suis

rien d’autre pour eux qu’un objet, que je justifie leur salaire, ils vivent grâce à ma douleur ”. C’est insupportable,

un enfant ne peut pas grandir avec une idée pareille, même dans un foyer, ce n’est pas

possible. Une solution est donc de falsifier de façon optimiste la réalité en se disant : « Ils font ça pour

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mon bien, pour m’apprendre, pour m’éduquer». Et combien de fois réapparaissent des images de

parents « sévères pour mon bien», d’enfants « élevés à la dure ». C’était pour notre bien !

Expliquer cela lors d’une thérapie de réseau, c’est aborder le cheminement étroit qui fait que plus on

est gentil plus on est « mieux que les parents d’origine » plus c’est insupportable… Cela ne veut pas

dire qu’ils soient condamnés à être frappés pour croire qu’ils comptent pour quelqu’un !!

Il faut cheminer sur un passage étroit dont l’autre versant est tout aussi dangereux : le moment où l’on

propose un autre mode de réaction entraîne souvent une crise du fait de la démonstration que ce

qu’ils ont enduré n’était pas normal !!!

Le miroir du « même chemin » est tourné également vers les éducateurs et encore plus violemment

vers les familles d’accueil qui se croient dans une impasse et vient donner un intérêt particulier à ces

thérapies de réseaux.

Séances où l’on essaie de faire tourner les différents rouages dans un sens commun à tous, ce qui

donne de bien meilleurs résultats que de se concentrer à faire des efforts pour forcer un rouage à

bouger en espérant que les autres « vont suivre ».

Il est nécessaire souvent d’expliquer à des éducateurs, des familles d’accueil, ou à tout autre intervenant,

que ces mineur(e)s ont, en tant que mineur(e)s, traversés des guerres, ont survécus, ont réussi

à fuir, à arriver à des milliers de kilomètres de chez eux, à survivre et à se retrouver dans nos villes

inconnues pour eux, aux codes parfois étranges et qu’il n’est, à cause de tout cela, pas simple de

vouloir les traiter comme des mineur(e)s qu’ils ou elles sont « sur le papier ».

Il ne faut jamais négliger leur vécu qui n’a rien à voir avec la minorité ; que par exemple leur proposer

des stages d’autonomisation peut avoir un côté «pour le moins déplacé. D’autant plus à côté de la

plaque qu’il ne leur aura pas été redonné psychiquement leur place d’enfant, comment se comporter

en enfant quand on n’a jamais eu cette place.

Pour moi thérapeute, quel plaisir de voir ces faux adultes « régresser » vers un comportement

d’adolescent, réinvestir leur place de « jeune ».

La contradiction se situe souvent dans le fait qu’il leur est donné en même temps une place d’enfant

qu’ils ne connaissent pas et une place d’adulte qui n’est que maturation post-traumatique.

Étant capables de faire un certain nombre de démarches, de gérer eux-mêmes leur argent, de

s’habiller, ils sont contraints, ne peuvent vivre autrement cette protection légitime par exemple de la

part de l’éducateur, que comme une brimade et un déni de leur vécu. Ils ont fait 5000 kilomètres voire

plus pour arriver dans ce foyer de banlieue, et on leur interdit d’aller faire leurs courses, seuls à Paris.

Quel monde extraordinaire quand même !

Ils se retrouvent également revictimisés par le simple fait que, de façon pragmatique, il ne leur est

proposé le plus souvent que des études de courte durée. Parfois la manière de proposer n’y est pas :

j’ai suivi un jeune homme brillant, qui a eu le « choix » entre un CAP de maçon ou de carreleur alors

qu’à la question qu’est ce que tu voudrais faire, exprime ton choix !… il avait répondu archéologue ! Il

m’arrive de trouver beaucoup plus sain que, devant un tel non-choix, devant un tel décalage entre la

demande et la « réponse », ils se fâchent. Pour ce jeune homme qui voulait être archéologue et a qui

fut proposé un stage de carreleur, quand il a manifesté son étonnement et sa colère il lui fut rétorqué :

« c’est pareil tu es à genoux et tu grattes le sol !!! » Comment ne pas exploser ?

La colère peut toutefois être préférable à la résignation, comment ne pas craindre pour l’avenir d’un

adolescent qui, formaté par les expériences traumatiques, accepte sans broncher, de renoncer à ses

compétences, à ses désirs, à ses rêves ! L’incompréhension qui vous retransforme en victime, associée

au fait qu’ils n’existent que, comme victimes, peuvent vite élaborer un cocktail particulièrement

explosif !

Est il possible d’exister durant tout le trajet en France, autrement que comme victimes ? Car qui dit

demande d’asile, qui dit mineur arrivant sur le sol français dit présomption de mensonge ! Contrôle de

l’âge par ces examens grotesques de détermination de l’age osseux (c’est un vaste sujet) et contrôle,

comme souvent des dires de la victime… “ est ce que c’est vrai ? ”, certaines institutions « d’aide »

ayant même établi l’obtention de la « vérité » en dogme.

Comme si la validation du statut de victime passait par la validation de leur histoire traumatique. Je

suis victime donc j’existe… Voilà un détournement bien cartésien. Eux qui n’ont jamais eu leur vraie

place, les voilà placés une fois encore dans une place particulièrement inconfortable.

Combien de jeunes filles me sont amenées parce qu’elles « ont un comportement provoquant vis-àvis

des hommes, quant on ne va pas comme récemment jusqu’à me les présenter comme des érotomanes

! puissance du diagnostic !!!!

8

Plutôt que de ne penser, de ne résumer leur trajet migratoire à l’évidence que le seul avenir « rose »

que ces jeunes filles cherchent en France c’est de venir se prostituer sur un trottoir de la capitale ! la

vraie question à se poser, la seule à réfléchir « en réseau », est plutôt, me semble-t-il : qu’y a-t-il pu

se passer dans sa vie pour en arriver là.

C’est un peu comme cet « adage » ils viennent manger notre pain… de quel pain s’agit il ? celui qui

se ramasse dans les poubelles, celui trouvé dans les colis du Secours Catholique, des Resto du

coeur ? est ce vraiment cela qui a pu les pousser à venir chez nous ? comment accepter d’être vu

ainsi quand on a souffert de façon insupportable ?

La thérapie de réseau pour les MIE peut proposer l’ébauche d’un cadre éducatif qui n’ignorerait pas

l’histoire traumatique de l’enfant, qui n’essaierait pas de faire l’économie de la compréhension de la

souffrance mais qui ne résumerait pas l’histoire à l’événement ou malheureusement aux événements

traumatiques à répétition

Mettre des frontières à l’agresseur qui sommeille dans le psychisme de ces jeunes victimes, fait que la

partie victime sait que l’on ne laisse pas faire l’agresseur. Ceci ébauchant le message que les agresseurs

ne sont pas toujours les plus forts. Ceci venant diminuer la puissance de l’identification à

l’agresseur.

Il faut pouvoir dire à la victime « je ne peux pas te laisser agresser les éducateurs mais je peux comprendre

que ce qui s’est passé t’a renvoyé à ce que tu as vécu, mais même si tu te sens très mal en

ce moment, je ne peux pas te laisser te comporter comme ça ».

Le réseau est très utile dans ce travail compliqué et nécessite en permanence un travail sur soi

même ; il devient nécessaire de tout le temps remettre en question ce que l’on ressent.

L’identification à l’agresseur peut être double par exemple devant une insulte de type raciste proférée

à un enfant déjà maltraité et victime de racisme: double identification aux deux agresseurs : l’une à

l’agresseur raciste « si je suis mauvais, c’est parce que je suis noir » (par exemple), l’autre à son autre

agresseur qui est sa famille maltraitante. Il peut être plus simple de se réfugier dans l’identité du mauvais

: “ il vaut mieux être mauvais que de ne pas avoir l’identité du bon ”.

De même une famille d’accueil blanche (par exemple), bienveillante, cette bienveillance même risque

de renforcer le biaisage de l’échelle de valeur et peut amener chez l’adolescent à des idées, du type :

« ils sont bienveillant et ils sont bons parce qu’ils sont blancs. Mais moi qui suis noir, je suis de cette

grande famille des mauvais ». Sujet délicat mais qui doit être abordé, car qui peut faire l’économie des

expression « voir tout en noir ». ? La famille d’accueil ou le ou la référent(e) qui exprime cela devant

un désarroi par exemple, n’a pas le moindre « racisme » à l’esprit au moment où elle le dit, ni la moindre

intention désagréable, mais il y a fort à parier que pour le jeune noir cela soit reçu fort différemment

!

Comment ne pas comprendre la colère d’un jeune Nigérian dont les parents chrétiens, avaient été

tués par des musulmans dans un des multiples conflits de ce pays ? Son problème était simple, il

avait, en urgence, été placé, dans une famille d’accueil musulmane, pendant le ramadan, et dans

laquelle il était arrivé à midi. Quand il avait dit qu’il avait faim, on lui avait répondu qu’il ne mangerait

que le soir. Il n’avait pas défait son sac et … était parti !

Conclusion

La thérapie familiale de réseau pour des mineurs étrangers isolés peut devenir le lieu où les difficultés,

les incompréhensions, les contraintes institutionnelles peuvent s’expliquer, se dire, essayer de

se comprendre. S’apaiser.

Elle demande un effort de tous, mais c’est justement la preuve que tout le monde fait cet effort, ou ces

efforts, dans le but primordial que « cela aille mieux » qui ouvre le champ des possibles pour ces jeunes,

garçons ou filles.

C’est ce réseau, cette « famille hors du commun » qui leur permet d’entrevoir autre chose, eux qui

n’ont le plus souvent, jamais vécu de situations qu’arbitraires, de pouvoir qu’abusif ou que perte des

repères « confiances » et « protection ».

Ceci impose de « tenir bon » ! mais à ce prix, à l’aune des efforts des différents intervenants, se mesurent

les progrès et peut s’ouvrir une vie apaisée.

Docteur Pierre Duterte

Psychothérapeute - Thérapeute familial

© Docteur Pierre Duterte Psychothérapeute - Thérapeute familial  

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