Quand le stress post-traumatique dure, dure ... dure

Publié le par Pierre Duterte psychothérapeute

Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire.

La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut.

 

René Char « à la recherche de la base et du sommet ».

 

Les mots qui font peur

 

Depuis des années je vais répétant que la torture ne sert pas à faire parler, mais à faire taire. Quel que soit l'endroit où je peux tenir ces propos, cela semble toujours surprendre. De fait le mot torture fait taire, et pas seulement les victimes de cette barbarie... très vite le sujet de conversation change, très vite fusent des questions « hors ce sujet » brûlant et insupportable.

Au cours des deux missions que j'ai eu à effectuer en mai-juin, j'ai pu constater comme le mot torture n’est seul dans ce cas. Il y en a d'autres qui effraient, qui font que la pensée même s'arrête: Rwanda, Génocide, Khmers Rouges, Pol Pot etc. !

 

Au Cambodge en rencontrant les victimes de ce régime « fou », il m'a été possible de constater qu’après 30 ou 35 ans, le simple fait de prononcer le nom du Frère n°1 (dit Pol Pot, de son vrai nom Saloth Sar) entraînait chez certains une dissociation, chez les autres une quasi-sidération.

Le choix est, de fait, difficile, soit l’on accepte de penser et reviennent les images de ce régime de terreur qui a duré 3 ans 8 mois et quelques jours, les cris, les morts, etc., soit on ne pense plus, on laisse les mots qui nous désespèrent tellement qu’ils nous immobilisent, seuls, face à un obstacle que nous ne savons, ne pouvons, ne voulons pas franchir, pas regarder. On ne pense plus.

Nommer les choses c'est leur permettre d'exister et cela nous contraint à faire face, à réfléchir. Alors pour ne pas souffrir passons à autre chose.

Le mot Angkar est banalisé il a repris son sens premier « d’organisation », pourtant quand je le prononçais les patients se figeaient un instant. Angkar : L'Organisation. Mot qui hante toujours la mémoire des Cambodgiens qui ont survécu à l'enfer des Khmers rouges, un mot qui réveille tous les traumatismes enfouis. L'Angkar commande tout. Elle ne rend compte à personne. On ne sait pas qui est derrière l'Angkar. La moindre tentative de discuter un ordre de l'Angkar se solde par une élimination physique.

 

"Le Rwanda c'était bien?" …et sans attendre une quelconque réponse on passe vite à autre chose « et… tu vas prendre des vacances?".

 

Les mots ont d’effrayants pouvoirs. Ils sont les bâtisseurs hasardeux d’images, ils peuvent très vite nous submerger. Le silence ne livre pas nos secrets. Le secret, l’absence de parole permettent de garder cachée la face sombre. Les non-dits seraient-ils innocents ?

Quand Yves Llobregat, l’arthérapeute qui est venu avec moi monter le projet à Kigali, trouvait magnifique le vert des collines je ne pouvais m’empêcher de les voir rouges. Rouges du sang du génocide.

Et pourtant le Rwanda nous a montré une image à des années lumières de celle que je pouvais avoir construite depuis 17 ans. « Nous avons vécu l’enfer maintenant c’est le paradis chez nous », me fut-il expliqué plusieurs fois. Sans parler de paradis il

existe à l’évidence une particularité rwandaise.

Sans être spécialiste de sciences politiques, sans avoir rencontré de dirigeants du régime actuel, il m’a semblé que l’on était dans ce pays loin de l’image que l’on peut en avoir de France, de celle véhiculée par les médias. Je n’ai pas « senti » l’oppression des dictatures où j’ai pu travailler précédemment, j’ai plutôt eu l’impression d’un régime « fort » mais d’un pays qui se relève. Il m’est souvent venu à l’esprit l’image du Japon qui, anéanti par les deux cancers nucléaires qui lui furent imposés par les alliés occidentaux, ce même Japon qui 19 ans « seulement » après l’embrasement atomique impressionnait le monde avec des jeux olympiques et qui, symboliquement, faisait porter la flamme olympique par Yoshinori Sakaï, citoyen japonais né à Hiroshima le 6 août 1945, jour du premier feu nucléaire.

Repartir, se relever c’est vraiment l’impression que m’a donné ce pays « différent ». Sans comme le voulaient les Khmers rouges « redémarrer la civilisation en repartant de l’année zéro ! ».

Certains mots font peur, certaines lettres ont fait peur à des régimes tortionnaires et ce n'est sûrement pas par hasard que le régime des colonels grecs (pas si lointain que cela... (1967-1974) avait même interdit la lettre Z qui, en grec ancien veut dire "Il est vivant" et qui symbolisait l'assassinat du médecin et député Gregoris Lambrakis.

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